Comment photographier la rue en 2018 ? Cédric Roux répond.


par Gérald Vidamment, le Mercredi 5 Septembre 2018


Repéré par la rédaction de Compétence Photo et sélectionné pour les Zooms du Salon de la Photo 2018, le travail de Cédric Roux autour de la photographie de rue mérite une attention particulière, tant sur la justesse du cadre que de l'émotion transmise par chaque image. Pour découvrir sa série Droit à l'image présentée aux Zooms et soutenir sa candidature, cliquez ici. Nous en avons profité pour nous entretenir avec lui sur un sujet qui passionne de plus en plus les photographes.

Cédric Roux, sélectionné pour les Zooms 2018 du Salon de la Photo
DÉCOUVRIR LA SÉRIE Droit à l'image et soutenir le photographe Cédric Roux

Comment définirais-tu la rue ? Est-ce pour toi une aire de jeu photographique ? Un lieu d’improbables et fortuites rencontres ?

Tout d’abord, il me semble important de définir le terme photographie de rue car il est fréquent que celui-ci soit pris au premier degré par les personnes non averties. Par photographie de rue, j’entends « tous lieux publics ». Par conséquent, une plage, un musée ou encore un magasin entre dans le cadre de la photographie de rue.
La “rue“ est de fait un immense terrain de jeu. On y croise tout le monde ; et chaque personne que l’on rencontre fortuitement est potentiellement en mesure de nous offrir une scène de vie, plus moins attrayante ; c’est à nous, photographes, de la rendre intéressante grâce à une composition adéquate ou à l’instant capturé.
En gardant son esprit alerte, la rue nous offre des situations invraisemblables tant par l’attitude des passants que par l’environnement dans lequel ceux-ci évoluent : cela va ainsi nous permettre de déclencher une émotion, au sens large, à ceux qui regarderont nos images.
Et je dois reconnaître que lorsqu’une “légende” s’écrit naturellement avec l’image et l’environnement, le moment est simplement jubilatoire. C’est un peu le sens de ma série Analogie. Pour chaque image de cette série, j’ai déclenché dès lors que, face à la scène, un titre ou une expression me venait en tête. Ce genre de moment arrive fréquemment lorsque l’on est attentif à son environnement ; c’est pour cette raison que la série présentée sur mon site ne représente qu’un échantillon de l’ensemble des images retenues.
Le clone - Photos © Cédric Roux - tous droits réservés

Selon toi, photographier la rue peut-il s’apparenter à un devoir de mémoire d’une société enchaînant inlassablement les époques ?

Qu’on le veuille ou non, dès lors que l’on photographie la réalité de notre quotidien, nous sommes en quelque sorte des témoins de l’évolution de notre société et de l’enchaînement des époques : nouvelles habitudes, nouveaux moyens de transport, nouveaux outils de communication, nouvelle mode vestimentaire, etc. Actuellement, l’exemple frappant est la difficulté de déclencher dans une grande ville sans avoir un téléphone portable dans le cadre.
Photographier les gens qui nous entourent, leur comportement face aux autres et dans leur environnement contribue à raconter le monde dans lequel on évolue.
C’est ce que je souhaite montrer avec ma série Forgotten Dreams, en insistant notamment sur le phénomène de la solitude dans notre société.


Tes séries s’inscrivent le plus souvent dans une unité de lieu, à savoir une ville : Rome, Paris, New York, Istanbul, Marseille, etc. Pourquoi ce choix ?

C’est vrai qu’hormis quelques séries (Droit à l’image, Analogies, Forgotten Dreams, Casse-tête chinois) je présente généralement mon travail ville par ville. L’unité de lieux est en effet la raison principale de ce choix car elle permet, selon moi, une compréhension des images plus simples pour le public. De plus, certaines villes ont une histoire singulière à raconter. Par exemple, la série sur Atlantic City – dans laquelle je ne suis resté qu’une journée et demi en septembre 2017 – est née de la sensation ressentie lors de l’après-midi où je suis arrivé : la ville semblait comme figée, au bord de la rupture alors qu’exactement deux ans auparavant, elle m’avait paru plus vivante ; et pourtant, c’était également des jours de semaine de septembre. À la fin de l’après-midi, j’avais quelques images montrant bien cette nouvelle atmosphère. Le soir même, j’ai donc commencé à chercher sur Internet des articles concernant la ville ; j’ai alors appris que la ville était au bord de la faillite, que quatre des douze casinos avaient fermé dans les deux dernières années – dont celui appartenant à Donald Trump, causant 3000 suppressions de postes – et que le taux de chômage de la ville était le double de celui des USA. C’était décidé : je passerai une partie de la journée du lendemain à tenter de mettre cette situation en images.
Pour résumer, il me semble important de présenter les images par série ; le faire par ville permet par ailleurs de mieux s’imprégner de l’atmosphère générale d’une image.
Atlantic City

Selon toi, une photographie de rue réussie est-elle nécessairement fidèle à la réalité des faits se déroulant devant les yeux du photographe ? Quelle place octroyer à l’interprétation du spectateur ?

Ce qu’il y a dans mon viseur est “ma“ réalité car cela correspond à ce que j’ai voulu montrer. En cadrant un peu plus d’un côté ou d’un autre, on peut changer l’impact ou même le sens de l’image. Dès lors qu’on diffuse l’image, on présente sa réalité des faits.
Par ma composition, j’essaie de faciliter la lecture de mon image par le spectateur, mais je sais également que chaque personne peut interpréter différemment l’image se trouvant faceà lui en fonction de son histoire personnelle et de ses codes.
Selon moi, une photo de rue réussie est essentiellement une photographie qui va déclencher un sentiment, une émotion à la personne qui la regarde.
Ma réalité

La série présentée pour les Zooms 2018 s’intitule Droit à l’image. Qu’est-ce qui t’a motivé à traiter ce sujet ?

Plusieurs raisons m’ont amené à commencer cette série. En premier lieu, je ne connais pas un photographe de rue à qui on n’ait pas posé la question : « Tu demandes l’autorisation aux gens avant de les prendre ? » Personnellement, répondre à cette question à chaque soirée me dérangeait. Et puis j’ai fait une photo où l’on ne reconnaissait pas les deux personnes présentes – réalisée dans le cadre du 24 Hour Project. Il s’est avéré que cette photo a beaucoup plu ; je n’avais pas réalisé sur l’instant à quel point cette photo pouvait faire sens. J’ai alors posté un message avec l’image afin de retrouver cette maman et son fils car je voulais leur offrir le tirage. Internet s’est emparé de l’image et j’ai essuyé de nombreux messages vindicatifs à la limite de la haine et proférant des menaces car j’avais pris un enfant en photo. Une fois la mère retrouvée et la photo encadrée offerte à cette dernière, je me suis dis qu’aborder ce sujet pouvait avoir une portée déterminante face à ce phénomène que les gens pensent connaître et que l’on nomme le droit à l’image
Mon objectif est simple : montrer aux gens qu’on peut faire du “beau“ tout en ne montrant personne et que ce pseudo combat est vain.
La première photo à l'origine de la série Droit à l'image

T’appliques-tu des règles de conduite quand tu photographies dans la rue ? Crois-tu qu’il faille légiférer ?

La seule règle que j’applique est de respecter les gens que je photographie, agir avec bienveillance et me mettre à leur place en me demandant si cela me gênerait d’être pris dans telle ou telle situation. Je ne pense pas qu’il y ait besoin de légiférer, car ce serait une petite mort de la photographie humaniste et cela contribuerait à renier l’héritage des grands photographes de ce monde.
Législation. Enfant ou non ? Une image réalisée à New York.

Tu travailles exclusivement en numérique ; cela dit, tu publies sur ton blog une série intitulée « Le premier film du reste de ma vie ». Une envie naissante ?

Hormis les photos de colonies de vacances quand j’étais enfant, j’ai commencé tardivement la photographie de rue, et donc immédiatement avec un boîtier numérique. Le confort de voir instantanément le résultat et la rapidité d’exécution ne me donnaient pas vraiment envie de me mettre à l’argentique.
Cela dit, le goût pour les images faites à l’argentique, avec ces couleurs si propres à la Portra 400, m’ont donné envie de tenter l’expérience. Cela me permettait aussi d’essayer de prouver que l’on pouvait faire des images intéressantes quel que soit le boîtier. Je me suis donc dégoté un petit compact argentique d’occasion pour 30 € et me suis dis qu’il allait me suivre partout. Ma première pellicule vient d’être développée ; et franchement, j’ai bien envie de poursuivre l’exploration.


Cédric Roux, sélectionné pour les Zooms 2018 du Salon de la Photo
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