L’Arménie blessée vue par la photographe italienne Antonella Monzoni (interview)


par Gérald Vidamment, le Mardi 2 Avril 2013


Lauréate de la première édition des Vienna International Photo Awards (VIPA), la photographe italienne Antonella Monzoni signe avec “L’Arménie blessée” un reportage poignant sur un pays et une population à l’histoire complexe et l’avenir incertain. Celle-ci vit depuis bientôt un siècle avec une blessure ouverte, jamais refermée. Et pourtant, c’est un peuple simple, ouvert et accueillant que la photographe a rencontré. Elle nous en parle avec ses mots et ses images.
© Antonella Monzoni, pour Vienna International Photo Awards - Tous droits réservés

Sur vos images de l’Arménie blessée, le traitement appliqué favorise une ambiance pesante. Comme si "avenir" rimait avec "incertitude". Est-ce ce que vous avez souhaité traduire ?
C’est vrai, c’est ma vision de l’Arménie. En 2006, j’ai visité pour la première fois la région du Caucase, et c’est l’Arménie qui “m’a demandé” de revenir.
 Ce pays m’a montré trop de blessures, du pèlerinage du 24 avril (Memorial Day) au monument commémoratif de la « flamme éternelle » à Yerevan où, chaque année, les Arméniens se rassemblent partout dans le monde, apportant une fleur pour la mémoire du génocide infligé à leur peuple. C’est un long et silencieux pèlerinage qui se déroule depuis l’aube jusqu’au milieu de la nuit. Depuis, je ne peux oublier toutes les tombes que j’ai vues, ce qui me ramène à la guerre civile avec l’Azerbaïdjan (1989-1993) où 30.000 personnes ont perdu la vie. Et les « trophées de guerre », comme je les ai appelés, le mur de plaques d’immatriculation azerbaïdjanais : elles nous rappellent qu’en une seule nuit, à pied, des milliers de familles ont dû abandonner leurs maisons pour fuir la vengeance arménienne contre les constants raids, les pogroms. Je me souviens aussi des bâtiments délabrés à côté des restes de statues de Staline, le patrimoine d’un autre chapitre de l’histoire arménienne, la Russie qui a duré plus de soixante-dix ans et laissé le pays financièrement en morceaux. Mes photographies montrent également une autre plaie : celle du terrible tremblement de terre (9C sur l’échelle de Richter) qui a détruit le nord de l’Arménie en 1988, laissant 25.000 morts et 500.000 sans-abri. J’ai aussi photographié une chose qui, à mon avis, est le symbole culturel le plus important de l’Arménie : le Mont Ararat. Il se trouve à présent sur le territoire de la Turquie, ajoutant l’insulte à l’injure.

Vous semblez très proche de la population arménienne. Qu’avez vous recherché en rencontrant les habitants ?
J’ai parcouru le pays tout entier, rencontré des gens qui étaient prêts à partager leurs histoires. J’ai vite découvert que tout le monde là-bas, même les jeunes, sont ouverts et prêts à partager avec vous la blessure la plus profonde de leur peuple, qui a été infligée quelque quatre-vingt-dix-huit ans plut tôt… Et c’est parce que leurs parents, leurs grands-parents, voire leurs arrières grands-parents ont passé leur vie à leur raconter cette histoire, au sein de leur famille, qui est l’un des aspects les plus ancrés et vivants en Arménie. Cette blessure est le génocide, ou Yeghern Metz (le grand mal), au cours duquel plus d’un million et demi d’Arméniens ont été exterminés par le gouvernement des Jeunes-Turcs, un génocide peu connu au niveau mondial et jamais reconnu par la Turquie.

Image après image, le temps semble avoir été ralenti, comme si chaque instant se figeait dans la mémoire. Quel est votre plus beau souvenir du quotidien lors de vos voyages en Arménie ?
Pour moi, le plus beau souvenir est de voyager dans ce pays aride et fort, composé de roches et de grands espaces, de montagnes et de lacs importants. Atteindre ces villages où les gens vous accueillent et vous racontent leurs histoires, manger du pain avec eux… et rechercher les symboles qui définissent la culture arménienne, comme les pierres sépulturales taillées, appelées khatchkar, qui se trouvent dans les cimetières et à côté des anciens monastères, ou les gravures écrites en alphabet arménien à l’intérieur des églises.

Comment décririez vous l’Arménie, aujourd’hui ?
Un pays de gens dynamiques et curieux, mais avec les yeux tristes, comme les Arméniens se désignent eux-mêmes. Un pays toujours en attente de « rachat » et qui, dans deux ans, à l’occasion de la commémoration du centenaire du génocide (1915-2015), espère que sera reconnu sa « grande blessure », encore ouverte.

La série « L’Arménie blessée » a valu à Antonella Monzoni le premier prix des Vienna International Photo Awards, d’une valeur de 4000 euros. Vous avez jusqu’au 30 avril 2013 pour participer à l’appel à candidature de la seconde édition des VIPA. Pour en savoir plus