Mathieu Farcy : « La visite de belvédères permet d'entrer en relation avec le sacré. » (festival Shoot ! à Chamonix)


par Gérald Vidamment, le Jeudi 6 Octobre 2016


Photos : © Mathieu Farcy - Tous droits réservés
Du 7 octobre au 6 novembre 2016, le photographe Mathieu Farcy expose son travail intitulé Paysages orientés à la Maison de la Mémoire et du Patrimoine à Chamonix à l’occasion de la seconde édition du festival Shoot ! La Quinzaine photographique, soutenu par Compétence Photo. Sa série d’images nous interpelle sur le rapport qu’entretient l’homme – et plus particulièrement le touriste – avec le paysage dès lors qu’il l’observe d’un de ces points de vue remarquables que l’on nomme les belvédèresbellevue littéralement en italien. Serions-nous malgré nous orientés par ce « beau » offert au spectateur et a priori accepté de tous les visiteurs ? Et comment faire oublier ces garde-corps qui nous séparent du paysage, nous empêchant de vivre pleinement la scène ? Entretien avec Mathieu Farcy.


Avant de réaliser ce projet, avez-vous déjà fréquenté des belvédères en tant que touriste ? Étiez-vous déjà conscient de cette orientation forcée ou refusiez-vous de vous y rendre de manière délibérée ?

Rarement ; en tant qu’enfant, j’ai plutôt été habitué à voyager à l’intérieur des paysages. Nous randonnions beaucoup et cherchions à trouver les endroits les moins fréquentés possibles. De loin, je les considérais plutôt comme des pièges à touristes, des endroits de consommation.

Comment vous est venue l’idée d’explorer ce sujet ?

L’idée n’en était pas vraiment une, en tout cas pas formulée : j’ai d’abord photographié des belvédères au hasard, en passant au Cap Blanc-Nez. C’est un attrait esthétique qui m’a touché a priori, sans qu’il soit très réfléchi. L’exploration est venue plus tard, en plusieurs étapes.
Je suis parti à plusieurs reprises, sur une durée de trois ans. Entre chaque période de prise de vues, l’éditing et les échanges autour des photos m’ont enrichi et m’ont permis de travailler différemment. Chaque chapitre a été très différent pour moi.

Les paysages ainsi proposés aux touristes étant prêts à être consommés, peut-on encore parler de découverte ?

Il y a deux points de vue coexistants dans cette question : celui du lieu et celui de l’individu. Depuis le lieu, orientant tacitement le déplacement, on plaiderait plutôt pour une découverte impossible, tant la liberté semble entravée et la vue déjà créée. Pourtant, chacun peut y trouver un territoire d’expérience propre, peut s’y réaliser et y trouver des trajectoires et des résonances personnelles. Finalement le belvédère est une scène de théâtre où le décor est fixe mais où les acteurs jouent tous un rôle différent.



Selon vous, un paysage se mérite-t-il et doit donc relever de l’effort pour atteindre sa vue ou devons-nous privilégier l’accès facilité au point de vue remarquable pour le plus grand nombre ?

Le rapport que l’on a au paysage est tellement intime qu’il est difficile de répondre à cette question. L’ancrage au monde me semble différent lorsqu’on le contemple depuis un belvédère ou qu’on l’arpente. Néanmoins, ce n’est qu’une réponse personnelle, et je crois que nombreux sont ceux qui apprécient la visite de belvédères. Elle n’est pas seulement adaptée et rassurante, elle permet aussi de contempler un paysage immaculé, d'entrer en relation avec le sacré.

Le belvédère peut-il selon vous susciter l’envie d’aller au-delà du garde-corps, l’envie de découvrir autrement le paysage servi sur un plateau bétonné ?

Souvent, dans mes attentes dans les lieux, j’écoute les touristes. Assez rares sont ceux qui ne se projettent pas dans la vue, qui n’expriment pas l’envie d’escalader, de skier, de marcher, de nager dans ce qu’ils voient. Je pense que – tels des plongeurs prêts à sauter – les touristes se verraient bien faire le grand saut et faire partie de ce tout qu’ils observent.


Et si ces paysages orientés n’existaient que pour nous faire gagner notre temps si précieux ? Doit-on succomber à la tentation de découvrir toujours plus ?

Les installations de belvédères, romantiques au XIXème, sont maintenant des projets politiques, des fers-de-lances d’orientations touristiques. Ils existent notamment par la volonté de développer des itinéraires touristiques repérés, inscrivant des territoires dans des passages pré-pensés.
La question du temps, pour les individus, est encore une fois dépendante de chacun. Certains passent la journée à l’aiguille du Midi tandis que d’autres y restent très peu.

Les belvédères se destineraient-il à devenir les futures plateformes de téléportation à la demande ? Comment imaginez-vous cet avenir ?

L’évolution du rapport à l’image dans le tourisme pose effectivement ces questions. Le tourisme virtuel ne pourrait-il pas tendre à se développer ? Ne pourrait-on pas être en haut de l’aiguille du Midi depuis son salon, à travers un casque de réalité virtuelle, et en ressentir le frisson, la grandeur, la force ?