Pierre Gleizes, grand lauréat de la Photographie de l'Année 2013 (interview)


par Gérald Vidamment, le Mardi 26 Mars 2013


Le 22 mars dernier, Pierre Gleizes s'est vu remettre au Mans le prix de la Photographie de l'Année édition 2013. En plus de son trophée, il a reçu 10.000 € de matériel Nikon. Salarié de l'organisation Greenpeace de 1980 à 1984, ce photographe travailla six ans pour l'Associated Press avant de signer des enquêtes pour l'E.I.A. (the Environmental Investigation Agency) en Afrique, en Sibérie et au Japon, concernant notamment le trafic d'animaux sauvages. Aujourd'hui, il est indépendant, ses images étant distribuées par l'agence parisienne Rea. À noter qu'il a publié en 2011 un ouvrage aux éditions Glénat, intitulé Rainbow Warrior mon amour, trente ans de photos aux côtés de Greenpeace.
Photographie de l'Année édition 2013 © Pierre Gleizes - Tous droits réservés

Dans quelles circonstances a été réalisée la photo élue Photographie de l’Année édition 2013 ? Pourquoi avoir faire le choix de soumettre cette image ?
J’ai embarqué en février et mars 2012 sur l’Arctic Sunrise pour une longue campagne au large du Sénégal et de la Mauritanie. Il s’agissait pour Greenpeace de s’opposer à la pêche industrielle qui pille les ressources alimentaires des populations locales, parmi les plus pauvres du monde. Des chalutiers géants quadrillent ces zones sans relâche en y perdant des tonnes de matériel en nylon. Ces eaux sont encore - pour combien de temps ? - les plus poissonneuses du monde et les oiseaux de mer y sont très nombreux. Tous les jours, nous pouvions en voir qui s’étaient fait piéger par des morceaux de filets flottant à la surface de la mer lors de leurs plongeons de chasseurs. Dans mon dossier "nylon" rapporté de ce reportage, on découvre des images dramatiques, car ces oiseaux, handicapés pour se nourrir, vont mourir de faim. La photo primée montre un instantané fulgurant : en une fraction de seconde, un jeune fou de Bassan attrape dans son bec le bout du filet qui enserre l’adulte lui passant devant !

Est-ce la première fois que vous participiez au concours des Photographies de l’Année ?
Non, j’avais déjà participé l’année dernière avec un sujet intitulé "Chalutage à moins mille mètres" et réalisé au large de l’Écosse en avril et octobre 2011. Deux mois passés à quadriller un gigantesque périmètre avec une météo très dure.

Depuis plus de trente ans, vous êtes impliqué dans la défense et la protection de l’environnement et de la planète, notamment en tant que photographe pour l’organisation Greenpeace dans les années 80. Quel bilan dressez-vous aujourd’hui de l’état de notre environnement ? Êtes-vous plutôt optimiste pour l’avenir ?
Le bilan des actions des défenseurs de l’environnement est considérable. Aujourd’hui, les pollueurs sont tous sur la défensive et se cachent derrière des rideaux de honte. La peur a changé de camp et la Seine n’est plus un égout à ciel ouvert. Un exemple parmi cent : en 2009, la simple présence de l’Artic Sunrise de Greenpeace dans le port du Havre a suffi pour dérouter un navire russe venu chercher une cargaison de déchets nucléaires. Ce bateau était affrété par Areva, premier opérateur mondial dans le domaine du nucléaire… Mais ne soyons pas naïfs. Vu les enjeux, tout sera peut-être à recommencer dès demain matin, comme la sanctuarisation de l’Antarctique, acquise aujourd’hui, mais pour combien de temps encore ?
La croissance démographique efface au fur et à mesure les progrès enregistrés. Et pour le changement climatique, tous les indicateurs sont dans le rouge. Les pétroliers espèrent profiter de la fonte de l’Arctique pour aller forer dans des zones jusqu’ici inaccessibles. Il faut donc également sanctuariser l’océan arctique pour le protéger des spéculations industrielles.
Enfin, je ne me pose plus la question d’être ou de ne pas être "optimiste". J’essaie simplement d’apporter ma goutte d’eau quotidienne à la sauvegarde de notre planète. J’utilise mon vélo le plus souvent possible ; j’éteins la lumière quand je quitte une pièce ; j’évite de prendre l’avion tant que faire ce peut... Et je fais dans la mesure du possible des photos qui dénoncent ce que j’aimerais voir disparaître. Des gestes microscopiques à l’échelle de la planète, mais qui m’aident à garder le moral !

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le métier de photographe ?
Le modèle économique qui nous a porté jusqu’à ce jour est en train d’exploser en vol. Je suis attentif à l’émergence de nouveaux modes de fonctionnement, mais ne vois pas grand-chose de crédible à l’horizon. Au moins, il me reste mon style de vie. Et ça, c’est déjà énorme.

La série complète dont est issue la Photographie de l'Année 2013 est visible ici.