Quid du droit à l’image pour une photographie réalisée à l’étranger ?


par Me Joëlle Verbrugge, le Vendredi 19 Avril 2013

Chroniqueuse au magazine Compétence Photo et auteure du livre "Vendre ses photos", l'avocate Me Joëlle Verbrugge répond à vos questions concernant le droit en photographie.


La question d'un lecteur

Je suis photographe amateur et publie mes images sur le site Flickr.com sans intention première d’en faire un commerce mais simplement de les partager. N’ayant aucune connaissance et expérience dans le domaine du "droit d’auteur", je reçois des demandes d’utilisation de certaines de mes photos pour alimenter des sites web (sans rémunération) mais l’une d’entre elles concerne un portrait pris en Asie Centrale sans autorisation signée. Dois-je décliner la demande d’autorisation d’utilisation de ce genre de photo ou est-il possible de faire apparaître une mention de retrait de l’image sur le site en cas de plainte ? De plus, quelle est la valeur d’un e-mail à titre de réponse ?
Patrick B.

La réponse de Me Joëlle Verbrugge

© C. Le Brozec
Votre question fait référence au "droit d’auteur", mais en réalité le sujet concerne le droit à l’image de la personne dont vous avez fait le portrait.
La question du droit à l’image est très peu abordée dans le Code civil puisque l’ensemble de la jurisprudence se crée à partir d’un article très bref, à savoir l’article 9, selon lequel toute personne a droit au respect de sa vie privée.
Ce droit est strictement lié à la personne, de telle sorte qu’en principe, et logiquement, un Tribunal saisi d’un éventuel litige en la matière devrait appliquer le droit national de la personne photographiée pour apprécier si la diffusion de son image est légale ou non.
Cela étant, dans un litige qui opposait un ressortissant marocain et un photographe français, assigné, en même temps que son agence, une juridiction française a fait application du droit français, de telle sorte que je crois pouvoir vous conseiller d’appliquer les règles dégagées par les cours et tribunaux de notre pays.
Celles-ci sont, pour l’instant, et sous réserve d’une évolution possible, les suivantes :

1/ Aussi longtemps que l’utilisation d’une photo peut entrer dans le champ de votre liberté d’expression artistique, la personne représentée ne peut s’opposer à sa diffusion que si :
• soit cette photo la montre dans une situation dégradante ou injurieuse,
• soit si elle démontre qu’elle subit, du fait même de la diffusion, des conséquences "d’une particulière gravité" (CA Paris, 5/11/2008, I. de C. c/ Gallimard).
Cette jurisprudence est pour l’instant toujours d’application, et confirmée de façon régulière par la majorité des juridictions. Cette notion de "préjudice d’une exceptionnelle gravité" est bien entendu subjective…

2/ Cette liberté d’expression artistique, posée par la Cour d’appel en principe fondamental devant supplanter le droit individuel à l’image, s’applique donc sans trop de difficulté dans le cadre d’une diffusion "artistique" : diffusion sur votre site web, organisation d’une exposition, etc.

La solution risque par contre d’être différente en cas d’utilisation à des fins commerciales. Dès lors, et même si en pratique les risques de litige sont sans doute faible et inexistants, j’aurais tendance à vous conseiller de refuser une autorisation d’utilisation si la personne qui vous la sollicite exerce elle-même une activité commerciale dans le cadre de laquelle elle souhaite utiliser le visuel. Les chances de procès sont bien entendu très limitées et vous courez les risques que vous souhaitez, mais il me semble qu’il en va également du respect de la personne de façon générale, même si cette dernière appréciation n’est plus très juridique. En tout état de cause, abstenez-vous, de votre côté, d’une utilisation purement commerciale (création de posters, tapis de souris, etc.) sans l’autorisation de la personne.
Enfin, la prudence vous impose bien sûr d’indiquer à votre interlocuteur que vous n’avez pas reçu l’autorisation formelle de la personne représentée, et qu’il assume seul les risques d’une éventuelle procédure. Ceci n’empêcherait pas, en cas de problème, que le sujet de votre photo se retourne contre vous, mais vous auriez alors la possibilité d’appeler en garantie l’utilisateur final, à qui vous veillerez à bien rappeler qu’aucun "commerce" ne peut être fait à l’aide de la photographie. Et ces avertissements seront bien sûr faits par écrit, et conservés précieusement par vos soins ailleurs que sur un disque dur qui risque toujours de crasher.

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