Willy Ronis nous quitte à 99 ans


par Gérald Vidamment, le Samedi 12 Septembre 2009

Doyen des photographes français, Willy Ronis est décédé ce samedi 12 septembre à l'âge de 99 ans. Initiateur avec Robert Doisneau et Henri Cartier-Bresson de la photographie humaniste, il nous laisse des trésors en images, dont il a fait don à l'Etat français il y a plus d'un quart de siècle.


Autoportrait © Willy Ronis
Pas plus tard qu'hier au soir, je savourais une fois encore les paroles de ce maître ès images en revisionnant une interview filmée pour Mediapart.fr où il confiait quelques anecdotes autour de photos réalisées au cours des années 30 (voir plus bas). Si à 99 ans, Willy Ronis ne se déplaçait plus qu'en chaise roulante, il conservait en revanche son esprit et ses souvenirs intacts.

"Sa photo était profondément humaniste et vraie. C'était un des plus grands photographes de son temps, qui nous a offert un regard sur la France", commentait ce matin Stéphane Ledoux, PDG d'Eyedea Presse, dont dépend l'agence de photo Rapho dont Willy Ronis a toujours été fidèle durant toute sa vie. Son premier appareil, il l'a eu à 15 ans. Deux ans plus tard, il commença le sujet qui ne le quitta plus jamais : Paris, sa ville natale pour laquelle il avait une profonde affection. "Parisien de naissance, il était normal que ma ville, ceux que j’y croise, qui y peinent et s’y distraient soient mes motifs naturels.", disait-il. Preuves en sont ses clichés les plus connus, réalisés au hasard de ses balades parisiennes quotidiennes. Il fut pourtant révélé dans les années 30 avec ses reportages sur les mouvements sociaux et le Front populaire.



Les amoureux de la Bastille, 1957 © Willy Ronis
S'il s'est un temps passionné pour la musique et le dessin, Willy Ronis a rapidement abandonné ces deux arts pour se consacrer pleinement à la photographie, pour la presse principalement, l'industrie et la publicité. Après la guerre, il passe une grande partie de son temps à arpenter les quartiers de Paris. C'est ainsi qu'il réalisa dans les années 50 "Les Amoureux de la Bastille" tout en haut de la colonne de Juillet. Il lui aura fallu attendre près trente ans avant de retrouver ce couple d'inconnus lors de cette rencontre si fortuite. "Je faisais une exposition au Comptoir de la photographie, une très jolie petite galerie rue du Faubourg-Saint-Antoine, sur le thème des amoureux, à l’occasion de la Saint-Valentin", raconte Willy Ronis. "Il y avait mes photos au mur et mes livres sur le comptoir. Un monsieur s’approche de moi avec mon livre sous le bras, et il me demande de le lui dédicacer. Puis soudain il me confie : "Vous savez, Monsieur, vos amoureux de Paris, ils ne sont pas bien loin, à quatre cents mètres d’ici, de l’autre côté de la colonne. Je les connais depuis toujours, ils tiennent un bistrot et quand ils prennent leurs vacances, c’est moi qui les remplace au comptoir. C’est tout juste si je ne suis pas tombé par terre ! Je suis allé les voir, ils s’appelaient Riton et Marinette, et j’ai vu qu’ils avaient le poster encadré dans le café, qui se trouvait à l’angle de la rue du Faubourg-Saint-Antoine et de la rue des Tournelles. Ils m’ont accueilli cordialement. Ils n’étaient montés qu’une seule fois sur la colonne, ils s’en souvenaient parfaitement. Ils venaient de l’Aveyron et, à l’époque, ils n’avaient pas encore le bistrot. Ils ne l’ont eu que deux ou trois ans plus tard, alors qu’ils étaient mariés. Et le plus étonnant, c’est que sur la photo, dans la direction où ils regardent, on voit le coin de l’immeuble où se trouve le bistrot !" (extrait de Virginie Chardin, Paris et la photographie. Cent histoires extraordinaires, de 1839 à nos jours, aux éditions Parigramme)

La péniche aux enfants, 1959 © Willy Ronis
"Ma photo où le hasard a joué le plus grand rôle est sans conteste La péniche aux enfants. C’était en janvier 1959. Je me trouvais sur le pont d’Arcole, et je vois, remontant la Seine, un train de péniches énorme. J’avais fait déjà une vingtaine de clichés, et je me disais "bon, ça va suffire." Je m’apprêtais donc à repartir. Et puis, je ne sais pas ce qui s’est passé, j’ai dû être alerté par quelque chose. Était-ce des cris d’enfants ? C’est possible. Je me suis penché, et j’ai vu arriver sous moi la dernière péniche du train, avec deux petits gosses dans le fond de cette péniche vide, qui jouaient comme dans une cour d’immeuble. Alors là, je n’ai pas eu le temps de voir si j’étais bien sur l’infini et si j’avais le bon objectif. J’ai visé et j’ai appuyé. J’ai rarement eu le coeur aussi battant que sur le chemin du retour, jusqu’au moment où j’ai terminé le développement du film. Parce que je m’étais rendu compte que j’avais vécu un moment exceptionnel, et que si je pouvais en tirer une bonne image, ce serait vraiment un beau cadeau. Eh bien, je n’ai pas été déçu, ça a été un beau cadeau. J’ai eu de la chance." (extrait du film Autoportrait d’un photographe, de Michel Toutain et Georges Chatainaux)

© Willy Ronis

© Willy Ronis
Bien qu'âgé et très affaibli, Willy Ronis conservait une certaine activité. A la fin de l'année dernière, il nous avait comblé d'un livre d'images inédites, "Nues". Où l'on découvrait une ultime facette cachée de ce photographe prodigieux. En juillet dernier, il avait également été l'invité d'honneur des Rencontres d'Arles, un événement qui fêtait cette année ses 40 ans.

Quelques photos de son ouvrage Nues

Willy Ronis va nous manquer. Mais si ses yeux se sont éteints, ses images restent. L'occasion de s'en nourrir afin que la photographie humaniste continue à se révéler.