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Between Finger and Thumb • Alexandra Serrano • festival Circulation(s) (série)


par Gérald Vidamment, le Lundi 27 Février 2012


LE RÉVÉLATEUR #14. Plébiscité par le jury et Fetart, organisatrice du festival Circulation(s), le travail d'Alexandra Serrano nous invite à un retour sur le passé. Sur l'enfance. Présentées à la Galerie Côté Seine du Parc de Bagatelle à Paris jusqu'au 25 mars prochain, ses photographies se nourrissent de réminiscences mises en scène et adaptées à l'envi dans un souci de mieux appréhender le lieu dans lequel elle a grandi.


© Alexandra Serrano - Tous droits réservés
© Alexandra Serrano - Tous droits réservés
Rencontrée à l'occasion du festival Circulation(s), la photographe franco-mexicaine Alexandra Serrano m'est apparue tout à la fois posée, fragile et déterminée. Comme si elle venait de réaliser une thérapie, dont l'issue aurait été salvatrice. Je me permets d'employer le terme "thérapie" suite à l'échange que j'ai eu avec elle.
Plus encore, ce qui m'a interpellé dans son travail tient à son souhait de réaliser ce qu'elle présente comme une autobiographie visuelle et qui pourtant se voit ponctuée de souvenirs fictifs mis en scène dans l'environnement familial de ses jeunes années. Pour quelle raison ? Les souvenirs doivent-ils nécessairement être revisités, maquillés ? Ou est-ce notre mémoire parfois défaillante qui incite à réécrire une partie de son histoire, la tête emplie de songes ? Alexandra me répond : "Malheureusement, comme nous le savons tous, la mémoire n’est pas infaillible et les souvenirs qui rejaillissent ne sont souvent que des fragments incomplets dont on ne peut tirer satisfaction. C’est là que, inassouvie, cette entreprise autobiographique devient rapidement source de frustration, d’impatience voire même de déception auxquelles se rattache la désagréable impression d’avoir échoué, de s’être oubliée. Alors, machinalement, je me suis mise à recréer ma propre histoire, une nouvelle histoire qui reprend la vraie mais dont je comble les vides d’anecdotes fictionnelles, embellies au grès de mes des fantasmes et désirs datant de la petite enfance. C’est là que réside le dialogue entre fiction et réalité. Rien n’est faux mais tout n’est pas totalement vrai. Si l’on en croit Freud, nos souvenirs d’enfance sont ce qu’il appelle des ‘souvenirs écrans’ dont le contenu a été modifié à plusieurs reprises par notre inconscient et dont la vraie signification reste cachée."

Elle ajoute : "Non, les souvenirs ne doivent pas toujours être heureux. D’ailleurs mon travail fait fréquemment référence à des moments difficiles et douloureux. Les photographier me permet de me réconcilier avec ces derniers. Dans cette optique, la photographie est ici une sorte de thérapie."

Une image attire mon attention. Elle présente des épluchures d'oranges conservées dans le tiroir d'une table de nuit. Au même moment, une amie me fait remarquer une autre image de la série, laissant apparaître des mèches de cheveux coupées, dissimulées sous un oreiller, sans doute dans la précipitation. Ces deux images se font écho. Se répondent-elles ? Ou s'opposent-elles au contraire ? Alexandra me raconte alors leurs histoires respectives : "Petite, j’étais une enfant solitaire, mal dans ma peau. Je n’arrivais pas à comprendre mes émotions ni à les contrôler. Les mèches de cheveux font référence à un épisode colérique. Je ne supportais pas ma propre image. Un jour j’ai pris une paire de ciseaux et je me suis coupée les cheveux très courts. Machinalement, je les ai cachés sous mon oreiller afin que ma mère ne les trouve pas dans la poubelle, puis je les ai mis dans une boîte. Cette boîte, je l’ai toujours et les mèches de la photo sont celles d’il y a quinze ans. Pour les pelures d’oranges, c’est une autre histoire. Petite, j’adorais collectionner tout et n’importe quoi. Tout ce qui était inutile était précieux à mes yeux. Je raffolais des oranges. Collectionner leur épluchures était devenu une obsession. Je les rangeais dans le tiroir de ma table de chevet. L’odeur était tellement agréable au coucher et j’aimais croire que c’était elles qui me permettaient de trouver le sommeil. Plusieurs années séparent ces deux souvenirs. Et pourtant, ils reflètent un même besoin, celui de sans cesse vouloir garder secret certaines choses, de les préserver tels des preuves ou des trophées."

Le niveau d'anglais d'Alexandra est étonnant. Je comprends mieux dès lors qu'elle me confie avoir résidé à Londres jusqu'à récemment, où elle a d'ailleurs obtenu avec les félicitations du jury un master en Etudes Photographiques effectué à Westminster University. Aujourd'hui, elle vit de nouveau en France. Le choix de partir en Angleterre fut tout aussi réfléchi que celui de revenir. "Depuis toute petite, j’ai été scolarisée dans des établissements anglophones. Partir en Angleterre afin de poursuivre mon cursus universitaire était pour moi une évolution logique. De plus, j’étais à la recherche d’un enseignement plus pratique que théorique chose qui n’est pas aussi fréquent en France. C’est en Angleterre que j’ai réellement découvert ma passion pour la photo. J’ai toujours eu une certaine attirance pour les matières artistiques mais je voyais ça plutôt comme un hobby et non pas comme un choix de carrière. La décision de revenir en France coïncide avec la fin de mes études. C’est un choix que j’ai également fait vis a vis de ma pratique photographique. Celle-ci étant principalement autobiographique et abordant des thèmes tels que ceux de l’enfance, de la famille et du souvenir, il était primordial pour moi de me rapprocher du lieu dans lequel j’ai grandi car ce dernier est ma principale source d’inspiration."

Parallèlement à ses travaux personnels, Alexandra a participé à un projet original, Intimate Space. "C'est un projet organisé par l’artiste brésilienne Georgia Creimer dans le cadre des premiers Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ), et au cours duquel elle a invité une quarantaine de jeunes photographes à réfléchir sur la notion d’espace intime. Chaque photographe devait en faire une interprétation visuelle. Les travaux finaux sont actuellement exposés dans le village olympique de Innsbruck en Autriche sur des panneaux de verre de plus de deux mètres de haut !"

Propos recueillis par Gérald Vidamment

>> Découvrir le reportage vidéo de la seconde édition du festival Circulation(s)
>> Lire l'interview d'Amélie Chassary et de Lucie Belarbi, autre coup de cœur du festival Circulation(s)

© Alexandra Serrano - Tous droits réservés
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VOS COMMENTAIRES

1.Posté par Gilles le 23/05/2014 17:34

J'ai beaucoup aimé cette série, sans avoir lu le texte : chaque image est une histoire qu'on arrive à se réinventer. Du coup en lisant le texte je me suis dit qu'il était en trop ... mais au bout du compte il nous aide à comprendre cette démarche, profonde, qui cherchait à faire ressortir son enfance. J'aime bien ce mystère qui ressort qui est celui de cette gamine, probablement tout aussi mystérieuse.
Le lien n'est pas bon : le voici http://alexandraserrano.com/. Cette série est réellement la plus intéressante à mes yeux. Bravo.
Gilles


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